Belle du Seigneur d’Albert Cohen

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L’avis de la Petite Plume :

Il m’a fallu quelques jours pour lire « Belle du Seigneur » et j’en ressors pourtant avec l’impression de connaître intimement les personnages du roman, d’avoir vécu leur histoire, de faire partie de ce quotidien, et ce, grâce au génie de l’auteur.
Il m’est impossible de vous résumer ce vaste ouvrage et peu aisé de faire une critique de ce chef-d’œuvre absolu, mais je vais tout de même tenter de mettre l’accent sur les thèmes qui sont, selon moi, les plus marquants.

Solal, sous-secrétaire général à la société des Nations, tombe amoureux de la femme de l’un des fonctionnaires se trouvant sous ses ordres.
Beau, charmant, riche, il décide pourtant de se grimer pour conquérir sa belle, souhaitant la séduire uniquement par les mots. Mais se voyant essuyer un échec, il utilisera des moyens plus classiques, réussissant bien vite à attiser la passion d’Ariane.
Dès lors, et bien qu’Ariane quitte sa vie genevoise pour suivre son aimé, la lucidité de Solal l’empêche d’être pleinement heureux.
La trame principale de l’ouvrage d’Albert Cohen est l’amour, plus précisément les différents stades de la passion amoureuse à travers l’histoire de Solal et d’Ariane : la passion de Solal pour Ariane, la conquête de cette dernière, la vie de couple, la lassitude de cette vie.
La belle Ariane ne veut plus revivre l’ennui de la vie maritale, tous ses gestes visent alors à cristalliser la passion des débuts pour éviter l’encrassement du couple dans la routine quotidienne, Solal ne pensant qu’au bonheur de sa bien-aimée, évite tous « délits de lèse-passion », pourtant bien conscient de l’ennui dissimulé qu’éprouve Ariane à ses côtés.
Les réflexions du jeune homme témoignent bien souvent de son obsession pour le temps qui passe, la destruction de la chair, le caractère éphémère de la beauté physique, la mort, tout comme les intrusions de l’auteur, sont, quant à elles, ponctuées de visions funestes.
J’ai été conquise par Solal, ce jeune homme que la nature a généreusement doté de nombreuses qualités, notamment physiques, mais qui ne demande pourtant qu’à être aimé pour la beauté de son âme, désireux de tout partager avec son Ariane, même ces gestes qu’elle juge dégradant de montrer à son aimé.

On retrouve également dans le roman d’Albert Cohen d’autres thèmes secondaires comme l’antisémitisme que découvre Solal dans les rues de Berlin et dont il souffre personnellement, étant lui-même de confession juive.
L’œuvre se veut en outre critique de la petite bourgeoisie qui ne pense qu’à s’élever par le biais de relations sociales que notre protagoniste méprise au plus haut point.
Pourtant, lorsqu’il est dénaturalisé français et marginalisé de cette société au sein de laquelle il occupait pourtant une place si élevée, il comprend l’importance de cette vie sociale, s’efforçant de chercher à offrir à Ariane un succédané de but de vie, mais échouera, ce qui les mènera à la réclusion puis à leur destruction.

J’ai été subjuguée par la capacité de l’auteur à faire ressortir de chaque personnage une essence qui lui est propre, chacun ayant son histoire, sa façon de s’exprimer, ses préoccupations.
L’auteur jongle d’une main de maître entre ces récits si variés, effectuant un travail des plus minutieux, allant jusqu’à laisser volontairement des fautes d’orthographe dans certains discours.
Si certains des personnages paraissent fades ou inintéressants, ils ne sont pourtant pas dénués de profondeur grâce au génie de l’auteur qui a su, par ce mécanisme, mettre en avant leurs principaux traits de caractère afin qu’ils paraissent familiers au lecteur.
C’est également ce choix de narration qui m’a permis d’entrer dans l’histoire et d’y adhérer dès les premières pages.

Le style de l’auteur est impeccable, variant lui aussi au gré des différents personnages, les réflexions de Solal sont exprimées dans un style éminemment littéraire, voire philosophique, les pensées d’Ariane sont, quant à elles, exprimées à vif, juxtaposées sur le papier de manière incohérente, telles qu’elles se manifestent à son esprit.

En définitive, je ne peux que m’incliner face à ce génie de la littérature qui a su résumer, en ces quelques 850 pages, l’une des plus tragiquement belles histoires d’amour, relatant à merveille les comportements humains et la psychologie de l’Homme dans certaines situations.

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Résumé de l’éditeur (Gallimard) :

« Avec cet ample roman, dont le titre aurait pu être Le Livre de l’Amour, c’est une fresque de l’éternelle aventure de l’homme et de la femme qu’après un long silence nous offre l’auteur de Solal, de Mangeclous et du Livre de ma mère. ».

23 réflexions sur “Belle du Seigneur d’Albert Cohen

  1. Je me permettrais personnellement un petit bémol tout de même : bien que très représentatifs de la pensée humaine, j’ai trouvé les chapitres de la femme de ménage à la première personne particulièrement indigestes à lire. Oui, c’est une bonne idée que de représenter ainsi le fil de la pensée, qui peut sembler passer du coq à l’âne mais au fond duquel on trouve toujours un certain lien logique mais non, ce n’est pas agréable à la lecture quand ça s’étend sur des dizaines de pages. Enfin, c’est mon avis !
    Sinon, tu as raison : les personnages son bien définis et j’ai particulièrement apprécié Mangeclous, au caractère bien trompé, même s’il ne fait pas partie des protagonistes à proprement parler.

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      1. Disons que ça met en avant le côté engagé du roman et son inscription avec les deux autres livres mettant en scène les mêmes personnages mais je comprends que ça puisse un peu écarter de l’intrigue principale.

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  2. Le roman que j’emporterai sur une île déserte. je sais que certaines personnes détestent ce style d’écriture. les méandres de ce roman m’ont personnellement enchantée, je crois qu’on adore ou qu’on déteste

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    1. Tu me donneras ton ressenti ! Les avis sur ce livre sont très tranchés, on adore ou on déteste ! Personnellement, j’ai compris dès les premières pages que j’aimerai ce roman, le style aura réussi à me séduire et l’histoire n’a pas été plus décevante !

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